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À partir de l’ouvrage « Faire que – L’engagement politique à l’ère de l’inouï » d’Alain Deneault, pour penser l’engagement citoyen à Rebecq et ailleurs.
Par Virginie PIERRE


Lucidité joyeuse : une posture pour notre temps
Dans Faire que, Alain Deneault déploie une pensée de la résistance concrète : lucide, mais joyeuse ; critique, mais féconde. Loin de tout désespoir stérile ou de toute opposition rageuse, il invite à penser et agir là où l’on est, avec ceux avec qui l’on vit, mais aussi et surtout avec notre environnement immédiat, ses ressources, son existant. Mener une action de géographie politique (au sens noble du terme) et éclairée.
C’est dans cette optique que nous proposons ici une lecture incarnée, inspirée, engagée et incitative de son ouvrage : une manière de penser et de lire notre engagement à Rebecq, mais aussi dans toutes les communes qui voient émerger des mouvements citoyens actifs, ancrés et visionnaires. Une sorte d’avant-garde, comme le dit Deneault. Mais aussi et surtout, en ce qui concerne Rebecq Autrement, un mouvement à rejoindre.
Il pose dans son livre, une question fondamentale : que peut-on encore faire, quand tout semble nous échapper ? Il y répond non par une injonction à « sauver le monde », mais par une proposition éthique et politique : adopter une lucidité joyeuse. Une posture où le regard porté sur la complexité et la gravité du monde n’aboutit ni au désespoir, ni à la résignation, mais à une action consciente, délibérée, et ancrée dans le réel, à juste échelle.
C’est une alternative féconde à la spirale actuelle des éco-angoisses et des dépendances – à la surconsommation, aux écrans, au spectaculaire politique ou même à l’idéologie du repli qui a aujourd’hui le vent bien trop en poupe. Là où l’éco-anxiété peut encore ouvrir à l’engagement, l’angoisse devient paralysante, car elle n’a pas d’objet correspondant. La lucidité joyeuse, elle, cultive la conscience sans se figer dans la douleur. Elle ne cherche pas des ennemis à abattre, mais des dynamiques à construire. Elle ne se cache pas derrière de fausses solutions – pailles en bambous, voitures électriques, mirage de l’éolien… – prétendant que nous allons vers un mieux, mais elle propose une action concrète, collective, ciblée et pleine de bon sens.
Le fait politique autrement : de la base, par le vivant, AVEC les lieux et pas DANS les lieux
Ce que Deneault décrit dans son livre, c’est l’importance de la politique à petite échelle. Aristote en parlait déjà en son temps.
Nous ne pouvons plus aborder le monde comme nous l’avons fait. Sous forme de gestion technocratique de flux abstraits, mais il nous faut pratiquer l’art d’habiter la Terre – selon l’expression chère à Kirkpatrick Sale – et prendre soin des lieux que nous occupons, comme le développe Thierry Paquot dans L’amour des lieux.
Attention, notre mouvement citoyen ne part pas en campagne électorale. Il n’oppose pas un « contre-pouvoir » partisan.
Nous faisons que. Et ce « faire que », quotidien, concret, modeste, mais transformateur, est déjà politique. Il interroge la manière dont une commune s’organise, se prépare, se relie à ses habitants, et à ses ressources – notamment face à des crises majeures qui s’annoncent : climatiques, énergétiques, sociales. Par exemple, en proposant des éléments pédagogiques de prise de conscience (fresque du climat) à ses représentants ou encore en s’investissant à titre personnel et citoyen dans des projets portés par d’autres collectifs et qui font sens pour eux (Fête de l’Ortie, Repair café, Tiers-lieu…), en tirant des sonnettes d’alarme par des articles de fond ou encore en s’investissant pour certains dans les structures politiques locales existantes en tant que Conseillers en accompagnant des interpellations citoyennes par exemple ou en invitant les élus à aborder les choses autrement que d’habitude.
En effet, ce faire citoyen, sans se constituer en parti, peut irriguer le champ institutionnel, par la participation de certains membres aux Conseils communaux ou aux Commissions locales, mais il ne s’agit pas de « récupérer » un mouvement. Néanmoins, il nous faut articuler les énergies citoyennes avec les leviers existants, quand c’est pertinent et où cela fait sens. Et parfois, c’est encore dans ces instances que cela se justifie.
Mais notre mouvement veille également à être là, plus largement, où cela fait le plus sens, sur notre lieu de vie, dans notre ancrage local, auprès des nôtres et dans notre environnement.
![wewantyou[1]](https://www.rebecq-autrement.be/wp-content/uploads/2025/02/we20want20you1.jpg)
La biorégion : vers une politique enracinée
La biorégion – concept forgé par Peter Berg dans les années 1970 – propose de penser le territoire non plus comme un découpage administratif arbitraire, mais comme une entité vivante, façonnée par des interrelations humaines et naturelles : climat, sol, bassin versant, savoir-faire, culture, sapience locale… Pour Deneault, cette approche s’impose désormais non comme une utopie, mais comme une nécessité brutale.
Le cas de Clova au Canada, abandonnée à son sort par les autorités centrales, illustre cela. Ce sont les habitants eux-mêmes qui ont dû s’organiser, dans une logique biorégionale, pour subvenir à leurs besoins. Car en situation de rupture – coupure d’électricité, crise alimentaire, effondrement institutionnel – les grandes structures ne viendront pas, ne viendront plus. Seule une autonomie éclairée, organisée à l’échelle locale, pourra répondre. Mais cela doit être anticipé, préparé lucidement. (Pensons aux inondations de Liège, aux inondations à Valence, aux incendies en Californie … Quelles réalités sans toute cette solidarité locale ?)
À Rebecq Autrement, nous sommes déjà en questionnement : que ferons-nous, concrètement, en cas de coupure d’électricité prolongée ? Comment agir en cas d’inondation, d’incendie, de pénurie ? Quels liens de solidarité aurons-nous tissés en amont ? Quels savoir-faire aurons-nous partagés, préparés, anticipés ?
Sortir du capitalisme moribond et mortifère par nécessité, non par idéologie
Le grand capital n’a jamais concerné tout le monde. 80% de la population mondiale (selon Deneault) n’est pas concernée et est même indifférente à ce modèle.
Dans les 20% restants, certains pactisent avec le grand capital (la plupart d’entre nous, par le travail “au service de”, nos crédits…) et quelques petits pourcents seulement en tirent un réel profit. Mais la conjoncture actuelle ne nous poussera pas vers une augmentation du nombre de bénéficiaires de ce modèle. Que du contraire. Les ressources étant limitées, la tendance sera plutôt inverse et c’est déjà le cas. Combien de familles de la classe moyenne ne parviennent plus à joindre les deux bouts avec leurs salaires ? À se payer de l’essence ou des soins médicaux ? Quand un seau est vide, il est vide. On peut gratter le fond autant qu’on le souhaite, il reste vide.
Une rupture avec le capitalisme n’est donc plus un choix idéologique : il nous faut admettre que cette rupture est déjà consommée. Le système ne parvient plus à s’autoalimenter. Les ressources naturelles ne permettent plus un enrichissement indéfini des plus puissants. Ce qui ne leur plait pas et les amènent aujourd’hui à une forme de déni suicidaire. Des projets démesurés à l’ère de l’inouï – comme celui de la carrière de Quenast qui voudrait s’étendre pour 150 ans sans même avoir une vision à long terme sur les besoins en matière première – deviennent l’expression d’un système extractif à bout de souffle. On consomme davantage d’énergie à extraire qu’on n’en retire. L’absurdité saute aux yeux. Et ce n’est qu’un exemple.
Cette proposition de lucidité joyeuse pourrait nous aider à ne pas perdre pied, mais à réorienter l’action de manière collective et pour le bien commun.

L’avant-garde citoyenne : non pas contre, mais pour et surtout autrement.
Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, ce ne sont pas des mouvements « anti » (anticapitalistes, antiglobalisation, etc.) qui se construisent dans la négation de l’autre, et donc sur son terrain. Comme le note Deneault, il nous faut des objectifs désirables, des horizons. Des chimères fécondes qui nous amènent à plus de résilience et de mobilisations concrètes.
Cette pensée hybride, ouverte, joyeuse, nourrit des actions très réelles qui illustrent déjà le bien-fondé de cette idée : Repair cafés, systèmes d’échange locaux (SEL), Tiers-lieux, coopératives. L’appartenance, l’ancrage à un environnement accueillant et/mais bien traité accorde une réelle place à chacun et chacune. Une base solidaire essentielle en cas de crise.
Là où les individus se sentent utiles et reconnus par leurs pairs, les études montrent que les taux de suicide chutent. Ce n’est pas un repli sur soi, c’est une reconnexion. Une réponse universelle– enracinée dans un territoire, mais traversée de sens et de liens.
Conclusion : comparaison est raison
La difficulté de notre époque tient aussi à ceci : il n’existe pas de précédent historique à la situation actuelle. Notre cerveau, dit Deneault, fonctionne par comparaison. Or, nous vivons une séquence sans modèle. D’où la peur. D’où l’immobilisme.
Mais c’est précisément dans cette absence de précédent que réside la tâche des mouvements citoyens : questionner, expérimenter, initier. En avant-garde. Pas pour prendre le pouvoir, mais pour ouvrir des voies. Car le monde qui vient ne pourra se faire sans sens, sans lieux, sans liens, sans lumière et sans âme.
Et pour cela, il faut faire que et le faire ensemble et autrement.
Vous êtes joyeux et lucide ? Vous voulez faire partie de l’avant-garde suggérée par ce philosophe ? Vous voulez “habiter la Terre” ? Vous avez un petit goût de résistance inspirante dans la bouche ?
Il n’est pas ici question de préparer les élections que nous vivrons dans 5 ans (il y a bien plus enthousiasmant à faire) mais bien d’être dans une action concrète et immédiate. De mener des chantiers ensemble, en nous appuyant sur un collectif foisonnant d’idées politiques à partager sans modération (Parce que c’est ça pratiquer une citoyenneté active !)
Alors rêvons un peu, qui sait, il se cache peut-être dans Rebecq un gang de pensionnés fans de comptabilité capable d’analyser finement un budget ou encore un trio de copines hyper calées dans le domaine de la santé et prêtes à nous rejoindre à condition de pouvoir partager un bon verre de vin (c’est ok !) ou alors un duo de meilleurs potes papas prêts à partager leurs expériences, inspirations dans le domaine de la petite enfance qui sait, un jeune adulte timide et passionné par les réseaux sociaux … Quelles que soient vos compétences, vos origines, votre âge, venez vous “citoyenniser” avec nous ! On rêve de rencontrer de nouvelles têtes inspirantes pour faire vivre plus fort encore ce mouvement amoureux de ses villages.
Vous savez où nous trouver …;-)
Ressources citées
- Alain Deneault, Faire que, Lux Edition, 2024
- Peter Berg, « Bioregions and reinhabitation », 1977
- Kirkpatrick Sale, Dwellers in the Land: The Bioregional Vision, 1985
- Thierry Paquot, L’amour des lieux, 2015
- Émile Durkheim – Le suicide – étude de sociologie, Paris, presses universitaires de France – 1897
Clova, le village de résistants https://lactualite.com/societe/clova-le-village-de-resistants/